En principe, le droit de propriété est un droit inviolable et sacré, personne ne doit en être privé. Toutefois, pour des raisons démographiques, des activités de développement, de bien être, de sécurité et d’intégrité nationale, l’Etat est souvent contraint de déposséder un individu de sa propriété immobilière.
Etymologiquement, l’expropriation vient du latin « ex », qui signifie privation, et « proprietas », propriété. L’expropriation est donc, selon le vocabulaire juridique GERARD CORNU, Association Henri Capitant, l’action pour l’Etat de priver un individu d’une propriété immobilière, de l’en déposséder lorsque la nécessité d’utilité publique ou d’intérêt général est justifiée.
Il est important de différencier l’expropriation du déguerpissement. En effet, à la différence de l’expropriation, les déguerpissements prennent place sur des terrains considérés, en tout ou partie, comme relevant du domaine public. Par extension, les déguerpissements s’appliquent aussi à des destructions de bâtiments construits sur des terrains non constructibles. Ils servent donc à mettre fin à une situation d’occupation illégale d’un terrain. N’étant pas une expropriation, les déguerpissements ne donnent pas droit à une juste et préalable indemnisation.
Au Rwanda, la question de l’expropriation pour cause d’utilité publique est réglementée par la loi n° 32/2015 du 11/06/2015 portant expropriation pour cause d’utilité publique. Elle la définit à l’article 2, alinéa 4 comme « Un acte basé sur le pouvoir réservé à l’Etat, aux établissements publics et aux entités administratives locales dotées de la personnalité juridique de déplacer une personne de sa propriété pour cause d’utilité publique, après lui avoir donné une juste indemnisation. ».
La procédure d’expropriation est une longue procédure incluant plusieurs acteurs cités à l’article 7 de la loi précitée. Il s’agit notamment :
– De l’’expropriant : c’est l’organe de l’Etat ayant légalement attributions et pouvoirs
d’expropriation. Il s’agit du conseil de district ; du conseil de la ville de Kigali (s’il s’agit
d’un projet de plus d’un district) ; du Ministère ayant la terre dans ses attributions (en cas de plus d’un district) et du Premier Ministre pour des opérations relatives à la sécurité et à l’intégrité nationale ;
– Du demandeur d’expropriation : il s’agit de tout organe de l’Etat désirant procéder à
l’expropriation pour cause d’utilité publique après avoir adressé sa demande à
l’expropriant ;
– Des Organes chargés de contrôler les projets d’expropriation : c’est le comité de contrôle des projets d’expropriation selon les niveaux (district, ville, ou national). L’Arrêté du Premier Ministre détermine l’organisation, le fonctionnement, les attributions et la
composition des comités chargés du contrôle des projets d’expropriation pour cause
d’utilité publique conformément à l’article 8 de la loi susmentionnée ;
– De l’exproprié : c’est la personne qui subit l’expropriation.
Afin d’éviter les abus, le législateur n’a pas manqué d’encadrer les mécanismes d’expropriation pour cause d’utilité publique. Ainsi, cette expropriation ne peut intervenir que pour la réalisation d’un objectif d’utilité publique et doit prévoir le paiement d’une indemnité juste et préalable à l’expropriation.
La procédure d’expropriation comporte principalement une phase administrative très rigoureuse et pourrait faire intervenir une phase judiciaire en cas de désaccord.
I- La phase administrative
La phase administrative comprend quatre (4) volets et est encadrée par les articles 10 et suivants de la loi susmentionnée :
a- Une demande adressée à l’expropriant
Le demandeur d’expropriation, doit adresser par requête, une demande à l’Etat à laquelle sera joint un Procès-Verbal de réunion consultative de sensibilisation qu’il a tenu avec la population sur le projet. En d’autres termes, l’organe demandant l’expropriation est tenu d’organiser, avant l’introduction de sa demande, une réunion avec les propriétaires des terrains visés par l’expropriation afin d’exposer le projet ainsi que les conséquences sur les conditions de vie des expropriés. Cette requête doit également prévoir les limites du terrain, la nature des biens dans le périmètre, la liste des détenteurs de droits enregistrés sur les titres fonciers de ce terrain et la liste
des ayant droits aux biens incorporés sur le terrain.
b- La déclaration d’utilité publique
La déclaration d’utilité publique est un acte qui permet, à l’issue d’une enquête publique
effectuée par le comité de contrôle, d’examiner la pertinence du projet dans un délai de 30 jours.
Ledit comité tient une réunion consultative contradictoire avec la population du lieu de situation du terrain à propos de la pertinence du projet d’expropriation pour cause d’utilité publique. A L’issue de la réunion, le comité dresse un Procès-Verbal de réunion signé par les membres présents du comité.
Si l’examen aboutit à une pertinence du projet, le comité informe l’autorité d’expropriation dans un délai de quinze jours (15) jours suivant la réunion qu’il a tenu avec la population.
Dans les quinze (15) jours suivant la réception de l’avis du comité, l’expropriant approuve l’expropriation pour cause d’utilité publique et la décision est ensuite publiée sur une station de radio avec un vaste auditoire, au journal ou par tout autre moyen de communication.
Par contre, si le comité juge le projet non pertinent, il le communique au requérant et aux expropriés dans le même délai de quinze (15) jours et la procédure d’expropriation s’achève à cette étape.
c- L’affichage des listes
A l’issue des étapes pré exposées, la liste des détenteurs des terrains et biens concernés est affichée au Bureau de la Ville de Kigali, du District, du Secteur et de la Cellule du lieu de situation du terrain. Après la publication de la décision et affichage de la liste des détenteurs des droits, le propriétaire du terrain n’a pas le droit d’y réaliser d’autres opérations sous peine de non indemnisation de ce qui a été réalisé. (Art 17)
Avant de procéder à une indemnisation, une évaluation des terrains est effectuée.
d- Evaluation des terrains
Les questions d’évaluation du terrain et des travaux qui y sont réalisés sont réglementées par les articles 22 et suivants de la loi n° 32/2015 du 11/06/2015 portant expropriation pour cause d’utilité publique.
Un ordre des évaluateurs des biens Immobiliers (IRPV) est mis en place par l’Etat pour
déterminer et publier chaque année au Journal Officiel de la République du Rwanda, la liste de référence annuelle des valeurs foncières et des prix des biens incorporés. Ces biens sont calculés sur la base de leur importance, leur nature et leur situation ainsi que sur la base des tarifs actuels du marché notamment :
– l’emplacement du terrain ;
– l’accessibilité : à la fois l’accessibilité générale et l’accès aux transports commun ;
– la densité de population
– la topographie ;
– l’utilisation des terres : l’utilisation actuelle et proposée des terres ;
– la proximité des commodités et des infrastructures (établissements d’enseignement,
établissements de santé, installations du réseau d’eau, réseau électrique, marchés) ;
– la proximité des raisons d’eau.
L’évaluation du terrain et des biens qui y sont incorporés est soumise ensuite au Maire de District, au Maire de la Ville de Kigali ou au Ministre concerné avec un rapport incluant la liste des expropriés, la superficie du terrain, la valeur des travaux qui y sont réalisés pour chaque exproprié et la juste indemnisation à payer à chaque personne dont la propriété est affectée par l’expropriation pour cause d’utilité publique.
Une fois l’évaluation faite, le propriétaire foncier satisfait de la valeur calculée par les
évaluateurs dispose d’un délai de sept (7) jours à vingt-et-un (21) jours à compter de la
publication du rapport d’évaluation, pour apposer sa signature ou l’empreinte digitale sur ledit rapport.
Le propriétaire non satisfait de la valeur accordée à son bien a droit peut contester par voie de recours.
II- La phase contentieuse
En cas de désaccord, la partie lésée peut saisir des juridictions à l’effet de contester le projet d’expropriation pour cause d’utilité publique. Il est à noter qu’il en existe plusieurs notamment :
a- Le Recours hiérarchique contre la décision d’expropriation par le citoyen lésé
Dans un délai de trente (30) jours à compter de la publication de la décision d’expropriation pour cause d’utilité publique, le citoyen lésé peut intenter un recours auprès de l’organe directement supérieur à celui qui a pris la décision en vue de réviser ladite décision.
L’autorité saisie dispose également d’un délai de trente (30) jours à compter de la réception de la demande pour réviser la décision pour cause d’utilité publique (art 18).
La décision doit être écrite et indiquer les motifs qui la justifient.
En cas de silence de l’organe saisi, le recours est réputé fondé conformément à l’article 178 du code de procédure civile, commerciale, sociale et administrative.
De plus, le requérant qui n’est pas satisfait de la décision dispose d’un délai de six (6) mois à compter de la signification de la décision, pour exercer un recours en annulation.
En cas de silence et de non rétablissement des droits, le requérant peut demander sous forme de requête unilatérale, à la juridiction administrative d’ordonner le respect de ses droits. Cette demande est introduite dans un délai d’un mois.
b- Recours hiérarchique contre la décision de révocation de la décision d’expropriation
Ce recours est formé par le demandeur d’expropriation devant l’organe supérieur à celui qui a pris la décision dans les quinze (15) jours suivant la publication de la décision en vue de réviser la décision prise.
L’organe saisi doit y répondre dans les 30 jours à compter de la réception du recours en vue de réviser la décision révoquant l’expropriation pour cause d’utilité publique. (Art 19). En cas de silence, le recours est réputé fondé.
c- Recours en vue de réviser la liste des expropriés
Conformément à l’article 20 de la loi, toute personne concernée par l’expropriation dispose d’un délai de quinze (15) jours à compter de la date de publication de la liste initiale (celle constituée dans le schéma directeur du terrain que doit fournir le demandeur) pour demander de réviser la liste et en indiquant le motif.
L’organe ayant dressé la liste doit donner suite au recours pour réviser la liste dans un délai ne dépassant pas sept (7) jours ouvrables à compter de la réception de la demande. La révision est suivie de l’approbation de la nouvelle liste dans les 7 jours ouvrables suivant décision.
d- Recours relatif aux indemnités
Conformément au droit rwandais, si l’exproprié n’est pas satisfait de la valeur attribuée à son terrain et aux biens, il doit indiquer par écrit les raisons de son désaccord avec le rapport dressé par les évaluateurs. Il loue ensuite, à ses frais, les services d’un évaluateur ou d’un bureau des évaluateurs agréés par l’Ordre des Evaluateurs des Biens Immobiliers au Rwanda, en vue de calculer la valeur de la contre-expertise. Le rapport de la contre-expertise doit être disponible dans un délai ne dépassant pas dix (10) jours à compter de la date de demande de contrexpertise.
Le rapport de la contre-expertise dressé par l’évaluateur ou un bureau d’étude agréé est soumis à l’expropriant pour y prendre une décision dans un délai ne dépassant pas cinq (5) jours ouvrables à compter de la date de réception du rapport de contre-expertise.
Lorsque le rapport de contre-expertise est accepté par l’expropriant, ce rapport remplace le rapport initial. Il est également dressé un procès-verbal signé par le représentant de l’expropriant, l’exproprié et les évaluateurs des deux côtés.
Lorsque le rapport de la contre-expertise n’est pas accepté par l’expropriant, il est dressé un procès-verbal indiquant les points faisant objet de désaccord. Ce procès-verbal est consigné par le représentant de l’expropriant, l’exproprié et les évaluateurs des deux côtés.
Lorsque l’exproprié n’est pas satisfait de la décision qui a été prise, il introduit l’affaire devant la juridiction compétente endéans quinze (15) jours à compter de la date de signature du procès-verbal indiquant les points de désaccord.
La valeur de l’expropriation est versée à l’exproprié pour éviter la suspension de l’expropriation pour cause d’utilité publique en attendant la décision de la juridiction.
e- Les effets du recours administratif
Selon les dispositions de l’article 179 du Code de procédure civile, commerciale, sociale et administrative, le recours administratif contre une décision n’emporte pas suspension de son exécution jusqu’à la décision de la juridiction saisie de la requête.
En cas d’urgence, une des parties qui estime que l’exécution de la décision risque d’entrainer un préjudice irréparable, peut demander sous forme de référé ou de requête unilatérale la suspension de l’exécution de la décision à la juridiction saisie. Cette demande est appelée demande aux fins de sursis à exécution d’une décision administrative et requiert une requête séparée de la requête
principale. Elle n’exige pas la consignation des frais de justice.
III- L’indemnisation
Conformément au droit rwandais, la procédure d’expropriation pour être légitime, devrait donner lieu au paiement d’une indemnisation pour tout terrain enregistré auprès des autorités conformément au droit écrit ainsi qu’à la fourniture d’une autre parcelle, appelée terrain de réinstallation pour tout terrain dont la personne concernée serait propriétaire en vertu des règles coutumières. Dans tous les cas, que le terrain appartienne à la personne concernée en vertu du droit écrit ou coutumier, une indemnisation devrait être versée à son occupant pour toute culture, structure ou autre élément présents sur le terrain et ce, avant de procéder à l’expropriation.
1. Délai du paiement de la juste indemnisation
La juste indemnisation approuvée est payée dans un délai ne dépassant pas cent- vingt (120) jours à compter du jour de son approbation par le Conseil de District, le Conseil de la Ville de Kigali ou le Ministère concerné. Si la juste indemnisation n’est pas payée dans les délais visés à l’alinéa premier du présent article, l’expropriation devient nulle et non avenue sauf par accord amiable entre l’exproprié et l’expropriant.
Après la réception de la juste indemnisation, l’exproprié déménage dans un délai ne dépassant pas cent -vingt (120) jours. Toutefois, l’exproprié n’a pas le droit de cultiver sur son terrain les cultures qui exigent d’attendre plus de cent- vingt (120) jours avant de pouvoir faire la récolte.
2. Dédommagement lorsque l’expropriant rétracte son projet d’expropriation pour
cause d’utilité publique ou en cas de retard de paiement de la juste indemnisation
Lorsque l’expropriant se rétracte après l’évaluation des biens des expropriés, il est tenu de payer un dédommagement équivalent à cinq pour cent (5%) de la juste indemnisation qui devait être payée à l’exproprié.
Lorsque l’expropriant se rétracte après s’être convenu avec l’exproprié, l’expropriant paie à l’exproprié un dédommagement additionnel de cinq pour cent (5%).
3. Mode de paiement de la juste indemnisation
Le paiement de la juste indemnisation peut se faire en espèces ou en nature.
a- La juste indemnisation en espèces
La juste indemnisation peut se faire en espèces en monnaie rwandaise, ou par tout autre moyensur base d’un accord entre l’expropriant et l’exproprié. La juste indemnisation est versée au compte de l’exproprié ouvert dans une banque locale ou dans une institution financière locale agréée de son choix.
b- La juste indemnisation en nature
En cas de paiement d’une juste indemnisation en nature, il est fait un procès-verbal d’une juste indemnisation convenue qui porte la signature ou l’empreinte digitale de l’expropriant et de l’exproprié.
Cette juste indemnisation est payée conformément à celle convenue.
Lorsque, en cas de copropriété, la juste indemnisation doit être octroyée à plusieurs personnes, ces cotitulaires doivent se convenir sur cette juste indemnisation.
Par Nathalie Neloumngaye
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